Le vovinam est pratiqué dans plus de 50 États et territoires, le tout avec un encadrement de qualité. Pourquoi un tel engouement au Vietnam et à l’étranger? Le vo cô truyên est-il différent du célèbre vovinam? Autant de questions qui méritent un éclairage.
Le 1er Festival international de vo cô truyên (arts martiaux traditionnels vietnamiens) s’est déroulé du 9 au 11 août 2015 à Hanoi. Une fédération internationale a été créée à cette occasion pour regrouper la plupart des écoles et clubs de vo cô truyên en activité de par le monde, dont une trentaine en France.
À la recherche du temps perdu
Le temps perdu s’égare dans la nuit des temps. De rares ouvrages se contentent de débiter quelques banalités sur les origines des arts martiaux vietnamiens, au risque d’en attribuer la paternité aux rois Hùng Vuong (2878-258 avant J.C.), tentation mythologique oblige. Certes, la dynastie des Lê antérieurs (980-1009) sélectionnait des experts en techniques de combat pour les postes de commandement militaire. Les Trân (1225-1400) formaient leurs jeunes nobles à la guerre dans les giang vo duong (académies militaires).
C’est seulement à l’époque des Lê postérieurs (1428-1788) que l’enseignement officiel des arts martiaux s’ouvrit au peuple, via les «clubs» appelés «vo hoc so». Mais toute cette suprastructure était surtout subordonnée aux fonctionnalités de l’armée, et peu destinée au développement propre des arts martiaux.
En marge de l’Histoire, les maîtres d’armes - pour la plupart des militaires à la retraite - œuvraient en solitaires, au fin fond de leur village, ou dans les faubourgs malfamés des villes. Ils créaient de petites écoles et y formaient des jeunes à leur propre style de combat. Des combats singuliers, au sens noble du terme, loin des coups de hallebarde face aux cohortes ennemies. Ils peaufinèrent leurs techniques au fil du temps, surtout grâce à leurs contacts avec les grands maîtres de Shao Lin, Wu Dang, Wu Mei, etc. immigrés de Chine parce que fuyant les guerres intestines. Les arts martiaux traditionnels vietnamiens y puisent leurs sources.
Binh Dinh, berceau des arts martiaux
Nguyên Huê, le futur empereur Quang Trung (1788-1802), a eu recours à ces petites écoles d’arts martiaux pour entraîner ses soldats et officiers. Plusieurs maîtres ne l’ont pas suivi jusqu’à Thang Long (actuel Hanoi) et sont restés dans la région de Tây Son (Centre), lieu de départ des troupes de Nguyên Huê à la reconquête du pays. À partir de là, étant donné l’importante concentration d’écoles d’arts martiaux, la province de Binh Dinh est connue comme le berceau des arts martiaux traditionnels du Vietnam.
Dans les années 30, le grand maître Nguyên Lôc, avec une poignée d’amis, créèrent le Vovinam (contraction de vo Viêt Nam = arts martiaux vietnamiens). Le vovinam opte pour le modèle japonais tant sur le plan vestimentaire (la tenue est bleue mais similaire à celle des judokas, même façon de nouer la ceinture) que sur celui de la technique (les ciseaux améliorés tirés du ju-jitsu et du judo kodokan de Jigoro Kano, thao quyên très rectilignes à l’instar des katas de karaté, manière de dégainer et de rengainer le sabre du fourreau - techniques de coupe pouvant facilement s’apparenter au kendo).
Sur cette base initiale, le vovinam ajoute au fur et à mesure certaines techniques plus vietnamiennes. Et le vovinam a remporté un succès inespéré au Vietnam et à l’international, devenant le sport de combat vietnamien le plus pratiqué. Il l’est en effet dans plus de 50 États et territoires. Il est aussi introduit dans les Jeux sportifs de l’Asie du Sud-Est (SEA Games).
À l’étranger coule le long fleuve tranquille
La Fédération de vo cô truyên du Vietnam a été mise sur pied seulement dans les années 1990 afin de regrouper le maximum d’écoles. La fédération en compte actuellement une centaine dans le pays. Les môn phai (école avec un style propre) continuent de transmettre leurs connaissances ancestrales, et appliquent aussi le programme dit commun, imposé par la fédération, qui comprend les 18 thao quyên empruntés à la province de Binh Dinh.
Le pratiquant du vo cô truyên porte un costume noir, et une ceinture nouée sur le côté de la taille. Toutes disciplines confondues, l’enseignement du vo cô truyên insiste beaucoup sur les tân (positions) et les bông (les bras en cercle pour les parades et les gardes) afin de rester dans la vraie tradition vietnamienne. Nous sommes donc en présence de deux structures bien distinctes : le vovinam et le vo cô truyên. Pas si net qu’on le croit.
Les grands maîtres vietnamiens qui ont émigré successivement durant les années 50, 60, 80 en Europe, en Amérique, en Australie n’ont pas attendu l’avènement de la Fédération de vo cô truyên pour être actifs. Depuis la création du programme commun qui est aussi celui des examens nationaux et des championnats internationaux, les pratiquants de ce sport ont l’impression d’autres alternatives : leur discipline propre et des morceaux choisis du trésor des arts martiaux vietnamiens.
Mais chaque médaille a son revers. À force d’imposer ce programme commun à tous les tournois, beaucoup de pratiquants délaissent l’enseignement de leur école pour se concentrer sur les sujets qui peuvent rapporter des trophées. Le qwan ki do, en France, a vu le danger arriver et refuse ce programme commun, préférant enseigner son propre courant.
Alors que la Fédération internationale de vo cô truyên vient de voir le jour, plusieurs grands maîtres souhaitent que la nouvelle structure suive fidèlement le noble but de fédérer afin de régénérer les «mille fleurs», au lieu d’uniformiser pour ne conserver qu’un seul bouquet, lequel, à la longue, risque de devenir une nature morte. Laissez couler le long fleuve tranquille des arts martiaux vietnamiens à l’étranger, et le Vietnam s’en sortira avec honneur. – CVN/VNA